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L’inefficacité de l’Akademi Kreyòl Ayisyen depuis sa création : un bilan mitigé

Créée le 4 décembre 2014, l’Akademi Kreyòl Ayisyen (AKA) avait pour mission de standardiser, promouvoir et valoriser la langue créole haïtienne à travers des politiques linguistiques ambitieuses. Cependant, près d’une décennie plus tard, un nombre croissant d’observateurs et d’acteurs de la société civile pointent du doigt l’inefficacité de cette institution. Pourquoi l’AKA semble-t-elle à la traîne, et quels sont les obstacles qui freinent sa progression?


Une vision noble, des résultats limités

L’AKA avait été établie dans un contexte où la langue créole, parlée par la majorité des Haïtiens, souffrait encore d’un manque de reconnaissance formelle et d’un statut subalterne face au français. Parmi ses objectifs principaux figuraient la normalisation de l’orthographe, la production de matériels pédagogiques, la formation des enseignants et la sensibilisation du public à l’importance du créole comme langue officielle et identitaire. Malheureusement, les avancées concrètes dans ces domaines demeurent faibles.


Problèmes structurels

  1. Manque de financement : L’AKA souffre d’un sous-financement chronique. Le budget alloué à l’institution ne lui permet pas de réaliser ses projets à grande échelle. En conséquence, plusieurs initiatives, comme la création d’un dictionnaire complet ou la formation d’enseignants, ont stagné.

  2. Manque de coordination interinstitutionnelle : L’interaction entre l’AKA et d’autres organes de l’État, notamment le ministère de l’Éducation et le ministère de la Culture, est souvent insuffisante. Cette fragmentation limite l’impact des politiques linguistiques.

  3. Faible portée communautaire : Bien que l’AKA soit censée toucher toutes les couches de la société, elle reste perçue comme une institution élite, déconnectée des réalités des populations rurales et urbaines. Peu de campagnes de sensibilisation accessibles ont été menées.


Une production intellectuelle limitée

Un autre aspect critiqué est la faible production d’ouvrages et de recherches en créole. Bien que l’AKA ait publié quelques documents normatifs, le rythme de production est loin d’être suffisant pour combler les besoins linguistiques et académiques. Cette lacune est en partie attribuable au manque de ressources, mais aussi à une organisation interne qui peine à établir des priorités claires. La valeur scientifique de certains documents mériterait d'être rehaussée également.

En septembre 2023, par exemple, l’AKA a publié la deuxième résolution sur l’orthographe du créole, un document de 20 pages. Dans l’ensemble, c’est un document essentiel en vue de la standardisation du créole. Toutefois, en tant que linguiste et locuteur créolophone natif, j’estime qu’il manque de rigueur, de curiosité et d’esprit scientifique chez les académiciens. Car, cette résolution comporte certains détails impertinents et réfutables venant de la plus haute institution scientifique du pays se rapportant au créole. Je consacrerai bientôt tout un article sur le document. Mais, pour l’instant, présentons rapidement quelques erreurs que j’ai personnellement repérées.

Depuis la quatrième année d’études à la FLA, je voyais la nécessité d’une réforme de l’orthographe qui résoudrait certaines difficultés d’ordre graphique et syntaxique que l’AKA a, visiblement, tenté de résoudre mais, malheureusement, elle n’a pas tenu compte de l’expérience linguistique réelle des locuteurs.

À la page 5, au point 4, et à la page 5 sur le tableau des 24 lettres, l’AKA associe la lettre et graphème u au phonème « ui », ce qui ne reflète nullement la réalisation phonétique réelle de ladite lettre dans la chaine discursive d’aucun locuteur natif. Étant linguiste, ma démarche restera surtout descriptive.Toutefois, la norme devant s’assouvir des faits linguistiques établis dans la société, je me permettrai de faire quelques approches normatives. En vrai, le graphème u correspond au phonème « u », comme dans le mot zuzu.

Étant une demie-voyelle, en association avec la lettre i, on a des mots comme zuit, uit, pwodui etc. Donc, il conviendrait seulement de préciser que le phonème « u » comme unité sonore distinctive ne se trouve que dans le mot zuzu et dans quelques rares combinaisons phonologiques et graphiques comme dans uit.

Je m’attendais aussi à une résolution sur la difficulté de représenter le phonème « o » dans /j-o-n/ mais le document n’en fait pas mention. L’AKA devait, à mon avis, proposer une règle qui permettrait, par exemple, aux locuteurs d’ajouter l’accent aigu sur le o, le dissociant phonétiquement des consonnes j et n, évitant ainsi la confusion avec la nasale on. Par conséquent, on écrirait jón au lieu de jòn à chaque fois. Car, les deux termes ne sont pas interchangeables sémantiquement. Un maillot jón est un maillot jaune tandis qu’un maillot jòn est, certes, aussi un maillot jaune mais foncé dû à une altération de sa couleur originale et, dans certains cas, le terme est dévaluatif (dan jòn).

Par ailleurs, à la page 9, les transcriptions laluèt, sue et juen sont incorrectes. Le natif dit swe (M swe anpil), jwen (Nan mwa jwen an) et lalwèt (Gad longè lalwèt ou).

Les points susmentionnés mériteraient d’être reconsidérés.


Les enjeux politiques

Le contexte politique instable d’Haïti constitue un frein majeur à l’efficacité de l’AKA. Les crises répétées, associées à une corruption endémique, entravent les efforts de l’institution. De plus, certains politiciens considèrent la promotion du créole comme un sujet secondaire, ce qui réduit le soutien politique à l’AKA.


Des perspectives d’amélioration

Malgré ces défis, tout n’est pas perdu pour l’AKA. Voici quelques pistes pour améliorer son impact:

  1. Augmentation du financement : L’État haïtien, avec l’appui des partenaires internationaux, pourrait allouer davantage de ressources à l’AKA.

  2. Renforcement des collaborations : L’AKA devrait établir des partenariats plus étroits avec les écoles, les universités et les organisations communautaires pour toucher un public plus large.

  3. Modernisation de la communication : L’utilisation des médias sociaux et d’outils numériques pourrait aider à vulgariser le travail de l’AKA et à encourager une participation citoyenne.

  4. Révision des priorités : L’institution pourrait se concentrer sur des objectifs clairs et réalisables, comme la création d’un curriculum scolaire unifié en créole.


Conclusion

L’Akademi Kreyòl Ayisyen reste une institution essentielle pour la promotion et la valorisation du créole haïtien. Toutefois, son impact jusqu’à présent est freiné par des problèmes structurels, financiers et politiques. Pour qu’elle puisse réaliser pleinement sa mission, une refonte de ses stratégies et une implication plus grande de tous les acteurs de la société sont nécessaires. Le créole, symbole fort de l’identité haïtienne, mérite une attention et des efforts accrus.

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