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Les rituels d'interaction: aspects linguistiques et extra-linguistiques

Si certains disent ce qu’ils pensent sans ambiguïté et sans ambages, il n’en est pas forcément le cas pour tout le monde. De façon libérée ou inconsciente, la chaine discursive de certains abritent des intentions communicatives, des implicites, des retentions d’informations et du sophisme qui, souvent, visent à manipuler, à altérer, ou encore à orienter la compréhension de leur récepteur. D’où l’importance de la pragmatique des interactions conversationnelles, de l’analyse du discours et des rituels d’interactions qui nous permettent non seulement de retracer la présence du locuteur dans son discours mais aussi de déceler les non-dits, les mobiles, l’identité, l’appartenance sociale, ethnique, religieuse et idéologique, notamment grâce à de nombreux éléments tant linguistiques que paralinguistiques qui parsèment cet article. Nous prendrons en exemple certaines transcriptions de segments de conversation entre des personnalités publiques et controversée, recueillis sur les réseaux sociaux dans la communauté haïtienne.

 

Comme susmentionné, nous pouvons repérer le locuteur, ses présupposés et ses velléités à travers 1) les éléments linguistiques et 2) les éléments extralinguistiques ou paralinguistiques. La première catégorie comprend les subjectivèmes qui révèlent explicitement la présence, l’opinion, l’émotion ou le jugement du locuteur dans son discours. Le subjectivème, concept central en linguistique énonciative et en analyse du discours, développé par des linguistes comme Catherine Kerbrat-Orecchioni, est donc un marqueur de subjectivité. On a :

-        Les déictiques, i-e des mots dont le sens dépend du contexte d'énonciation (qui parle, où et quand). Émile Benveniste (Linguistique de l'énonciation), développe cet aspect subjectif dans le parler de l’émetteur. Il cite les pronoms personnels, les démonstratifs et les adverbes. Un locuteur qui dit : « Je veux ce livre-là maintenant. » se situe dans son discours à travers «je » (c’est moi qui parle, c’est ma pensée, pas celle d’autrui), « ce…là » (cet objet là, pas l’autre), « maintenant » (pas plus tard).

-        Les subjectivèmes qui expriment l’opinion, le jugement ou l’attitude du locuteur. Dans l’exemple ci-dessus, le modal « vouloir », est un subjectivème qui exprime le désir du locuteur. Les adverbes d’opinion, notamment, retracent le locuteur. « Machann lan pran yon bal nan vant. Malerezman, li mouri lopital. / Le commerçant a pris une balle dans le ventre. Malheureusement, il est décédé à l'hôpital. » L’emploi de l’adverbe « malheureusement » traduit le jugement de l’émetteur par rapport à ce qui s’est passé. Les adjectifs modaux aussi, comme dans « il est possible qu’il vienne. » En fonction de multiples facteurs, le locuteur estime que la personne viendra possiblement. Le discours n’est pas neutre. Il y est dedans.

-        Les marques affectives et expressives, traduisant l’émotion et l’implication du locuteur. « Ow ! Ala bèl ! / Waw ! Que c’est beau !» La surprise du locuteur marquée par l’exclamation et l’interjection « ow ! /waw !». La subjectivité dans le qualificatif « bèl/beau ».

-        Les marques argumentatives qui révèlent la stratégie discursive du locuteur, l’organisation de son discours selon sa vision des choses. On y trouve les connecteurs logiques comme : mais, donc, par conséquent, alors, etc. Les questions rhétoriques aussi qui servent à orienter l’interlocuteur, « n’est-ce pas ? n’est-ce pas vrai ?»

-        Les marques socio-langagières, renvoyant à l’identité sociale et culturelle du locuteur. Le niveau de langue utilisé par le locuteur. Le journaliste Rudy Sanon, par exemple, illustre bien cet aspect. Impossible de ne pas le retracer dans ses prises de paroles truffées de grivoiseries. Son choix de l’argot comme registre de son discours dit long sur sa personnalité et sa distance par rapport aux normes radiophoniques et journalistiques.   L’accent et les tournures régionales permettent de situer le locuteur dans le discours par rapport à sa provenance géographique. On peut voir clairement que Manzè Kapwaz, coprésentatrice de l’émission Team Aswè a sur la plateforme Guy Wewe radyo a, vient du nord d’Haïti de par son accent et ses constructions syntaxiques. Les emprunts linguistiques aussi peuvent révéler les influences culturelles ou une attrition linguistique chez le locuteur.  À entendre Wyclef Jean parler créole, on y décèle une partie de son vécu, sa perte de compétence en créole et son américanisation.

-        Les reformulations pour marquer un ajustement de pensée à travers les auto-corrections (enfin, plutôt, autrement dit, c’est-à-dire) ou encore les marques d’hésitations (euh, bon, humm…).

Dans la deuxième catégorie (les éléments paralinguistiques), on trouve les aspects qui accompagnent le langage sans en faire partie directement. On a : le contact (canal physique ou psychologique, ex. : ton de voix, gestes) et le code (références culturelles partagées).

Dans son modèle des six fonctions de la communication (1960), en linguistique structurale, Roman Jakobson inclut les éléments susmentionnés où il souligne que la communication ne se limite pas aux mots, mais intègre des signaux contextuels. Un hochement de tête (geste) peut remplacer un "oui" linguistique, par exemple.

Dans approche de sociologie interactionniste, le discours du locuteur s’inscrit dans un cadre participatif regorgeant de rituels d’interaction que Erving Goffman développe, d’ailleurs, dans Les Rites d’interaction (1974), où il analyse les gestes, les postures, les regards (communication non verbale, la proxémie (distance physique entre interlocuteurs) et les "signes" sociaux (vêtements, statut visible). Par conséquent, toute interaction est une mise en scène où le corps parle autant que les mots. L’interlocuteur peut dire oui verbalement et dire non de par son langage corporel, ses expressions faciales, le ton qui accompagne sa réponse et la latence dans la réalisation de ses paroles. Un sourire forcé en société trahit un malaise malgré des paroles polies. Un « je t’aime » dit sur un ton nerveux ou les yeux baissés peut traduire un malaise ou une parole dite à contre-cœur. Une personne qui recule pour te parler, qui ne répond guère quand tu lui parles, même si elle te sourit et prétend se sentir en sécurité ou en confiance, peut être en train d’éviter, toi ou certaine intimité par cette distanciation sociale, physique et émotionnelle dans une démarche anthropologique de communication. Cela peut, évidemment, varier d’une culture à une autre (Edward T. Hall). La distance conversationnelle tend à être plus courte en Amérique latine qu’en Scandinavie, par exemple. Tout cela pour dire que le corps entre en ligne de compte dans les échanges langagiers et est, donc, à lui seul tout un système sémiotique parallèle au langage. Croiser les bras, par exemple, peut signaler une fermeture à la discussion.  Albert Mehrabian, se base sur la théorie des 7%-38%-55% dans Silent Messages (1971) pour affirmer que dans une communication émotionnelle 7% du message passe par les mots, 38%* par le ton de la voix (prosodie) et 55%* par le langage corporel (gestes, expressions).  Cette théorie souligne l’importance des indices vocaux et visuels dans la communication parce qu’ils reflètent des schémas cognitifs. C’est ce que George Lakoff & Mark Johnson appellent les métaphores gestuelles. Lever la main, par exemple, peut évoquer une "hausse". C’est de la cognition incarnée.

Il faut, d’autre part, nuancer les communications interculturelles. Serrer la main d’une femme en Haïti ne renvoie pas à la même chose sémiotiquement qu’en Turquie.

Dans la communication, il y a aussi l’aspect interdiscursif et les corrélatifs qu’il faut souligner. L'interdiscours désigne les relations implicites ou explicites qu'un discours entretient avec d'autres discours. Dans le podcast De Tout Et De Rien publié le 26 Mars 2025 sur sa chaine YouTube Chokarella, Carel Pèdre, a fait une injonction interdiscursive de manière substile à l’encontre du rappeur Wendyyy quand il a repris explicitement les termes, le ton, les expressions faciales et les gestes que le chanteur Baky Popilè a produits lors d’une entrevue réalisée, il y a trois ans, avec l’animateur Guy Wewe sur sa plateforme pour ironiser le fait par Wendyyy de s’être autoproclamé King (roi) du rap créole. Ces corrélatifs ont provoqué de vives réactions sur X, notamment dans la communauté chinwa, les fans fidèles de ce dernier.


Tout compte fait, tant les éléments linguistiques et extralinguistiques sont essentiels pour comprendre la communication dans sa globalité. Et, j’espère que cet article a pu en montrer l’importance et les applications concrètes.

 

Références bibliographiques et webographiques

-        Benveniste, É. (1966). Problèmes de linguistique générale I. Paris : Gallimard.

-        Kerbrat-Orecchioni, C. (1980). L’Énonciation : De la subjectivité dans le langage. Paris : Armand Colin.

-        Kerbrat-Orecchioni, C. (1999). L’Énonciation en linguistique. Paris : Armand Colin.

-        Maldidier, D. (1990). L’Inquiétude du discours. Paris : Des Cendres.

-        Maingueneau, D. (2014). Discours et analyse du discours. Paris : Armand Colin.

-        Détrie, C., Siblot, P., Verine, B. (2001). Termes et concepts pour l’analyse du discours. Paris : Champion.

https://www.youtube.com/live/oP011TiRM2Y?feature=shared

https://youtu.be/hx05ua4mPtE?feature=shared

https://x.com/JWGdon1/status/1905621397247791331

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