Comme susmentionné, nous pouvons repérer le locuteur, ses présupposés et ses velléités à travers 1) les éléments linguistiques et 2) les éléments extralinguistiques ou paralinguistiques. La première catégorie comprend les subjectivèmes qui révèlent explicitement la présence, l’opinion, l’émotion ou le jugement du locuteur dans son discours. Le subjectivème, concept central en linguistique énonciative et en analyse du discours, développé par des linguistes comme Catherine Kerbrat-Orecchioni, est donc un marqueur de subjectivité. On a :
-
Les déictiques, i-e des mots dont le sens dépend
du contexte d'énonciation (qui parle, où et quand). Émile Benveniste
(Linguistique de l'énonciation), développe cet aspect subjectif dans le parler
de l’émetteur. Il cite les pronoms personnels, les démonstratifs et les
adverbes. Un locuteur qui dit : « Je veux ce livre-là maintenant. » se
situe dans son discours à travers «je » (c’est moi qui parle, c’est ma
pensée, pas celle d’autrui), « ce…là » (cet objet là, pas
l’autre), « maintenant » (pas plus tard).
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Les subjectivèmes qui expriment l’opinion, le jugement ou
l’attitude du locuteur. Dans l’exemple ci-dessus, le
modal « vouloir », est un subjectivème qui exprime le désir du
locuteur. Les adverbes d’opinion, notamment, retracent le locuteur.
« Machann lan pran yon bal nan vant. Malerezman, li mouri lopital. / Le
commerçant a pris une balle dans le ventre. Malheureusement, il est décédé à
l'hôpital. » L’emploi de l’adverbe « malheureusement » traduit
le jugement de l’émetteur par rapport à ce qui s’est passé. Les adjectifs
modaux aussi, comme dans « il est possible qu’il vienne. » En
fonction de multiples facteurs, le locuteur estime que la personne viendra
possiblement. Le discours n’est pas neutre. Il y est dedans.
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Les marques affectives et expressives, traduisant
l’émotion et l’implication du locuteur. « Ow ! Ala bèl ! /
Waw ! Que c’est beau !» La surprise du locuteur marquée par
l’exclamation et l’interjection « ow ! /waw !». La subjectivité dans
le qualificatif « bèl/beau ».
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Les marques argumentatives qui révèlent la
stratégie discursive du locuteur, l’organisation de son discours selon sa
vision des choses. On y trouve les connecteurs logiques comme : mais,
donc, par conséquent, alors, etc. Les questions rhétoriques aussi qui servent à
orienter l’interlocuteur, « n’est-ce pas ? n’est-ce pas vrai ?»
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Les marques socio-langagières, renvoyant à
l’identité sociale et culturelle du locuteur. Le niveau de langue utilisé par
le locuteur. Le journaliste Rudy Sanon, par exemple, illustre bien cet aspect.
Impossible de ne pas le retracer dans ses prises de paroles truffées de
grivoiseries. Son choix de l’argot comme registre de son discours dit long sur
sa personnalité et sa distance par rapport aux normes radiophoniques et
journalistiques. L’accent et les tournures
régionales permettent de situer le locuteur dans le discours par rapport à sa
provenance géographique. On peut voir clairement que Manzè Kapwaz, coprésentatrice
de l’émission Team Aswè a sur la plateforme Guy Wewe radyo a, vient du nord
d’Haïti de par son accent et ses constructions syntaxiques. Les emprunts
linguistiques aussi peuvent révéler les influences culturelles ou une attrition
linguistique chez le locuteur. À
entendre Wyclef Jean parler créole, on y décèle une partie de son vécu, sa
perte de compétence en créole et son américanisation.
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Les reformulations pour marquer un ajustement de
pensée à travers les auto-corrections (enfin, plutôt, autrement dit,
c’est-à-dire) ou encore les marques d’hésitations (euh, bon, humm…).
Dans la deuxième catégorie (les éléments
paralinguistiques), on trouve les aspects qui accompagnent le langage sans
en faire partie directement. On a : le contact (canal physique ou
psychologique, ex. : ton de voix, gestes) et le code (références culturelles
partagées).
Dans son modèle des six fonctions de la
communication (1960), en linguistique structurale, Roman Jakobson inclut les éléments
susmentionnés où il souligne que la communication ne se limite pas aux mots,
mais intègre des signaux contextuels. Un hochement de tête (geste) peut
remplacer un "oui" linguistique, par exemple.
Dans approche de sociologie interactionniste, le
discours du locuteur s’inscrit dans un cadre participatif regorgeant de rituels
d’interaction que Erving Goffman développe, d’ailleurs, dans Les Rites
d’interaction (1974), où il analyse les gestes, les postures, les regards
(communication non verbale, la proxémie (distance physique entre interlocuteurs)
et les "signes" sociaux (vêtements, statut visible). Par conséquent, toute
interaction est une mise en scène où le corps parle autant que les mots.
L’interlocuteur peut dire oui verbalement et dire non de par son langage
corporel, ses expressions faciales, le ton qui accompagne sa réponse et la
latence dans la réalisation de ses paroles. Un sourire forcé en société trahit
un malaise malgré des paroles polies. Un « je t’aime » dit sur un ton
nerveux ou les yeux baissés peut traduire un malaise ou une parole dite à
contre-cœur. Une personne qui recule pour te parler, qui ne répond guère quand
tu lui parles, même si elle te sourit et prétend se sentir en
sécurité ou en confiance, peut être en train d’éviter, toi ou certaine intimité
par cette distanciation sociale, physique et émotionnelle dans une démarche
anthropologique de communication. Cela peut, évidemment, varier d’une culture à
une autre (Edward T. Hall). La distance conversationnelle tend à être plus
courte en Amérique latine qu’en Scandinavie, par exemple. Tout cela pour dire
que le corps entre en ligne de compte dans les échanges langagiers et est,
donc, à lui seul tout un système sémiotique parallèle au langage. Croiser les
bras, par exemple, peut signaler une fermeture à la discussion. Albert Mehrabian, se base sur la théorie des 7%-38%-55%
dans Silent Messages (1971) pour affirmer que dans une communication
émotionnelle 7% du message passe par les mots, 38%* par le ton de la voix
(prosodie) et 55%* par le langage corporel (gestes, expressions). Cette théorie souligne l’importance des
indices vocaux et visuels dans la communication parce qu’ils reflètent des
schémas cognitifs. C’est ce que George Lakoff & Mark Johnson appellent les
métaphores gestuelles. Lever la main, par exemple, peut évoquer une
"hausse". C’est de la cognition incarnée.
Il faut, d’autre part, nuancer les communications
interculturelles. Serrer la main d’une femme en Haïti ne renvoie pas à la même
chose sémiotiquement qu’en Turquie.
Dans la communication, il y a aussi l’aspect
interdiscursif et les corrélatifs qu’il faut souligner. L'interdiscours désigne
les relations implicites ou explicites qu'un discours entretient avec d'autres
discours. Dans le podcast De Tout Et De Rien publié le 26 Mars
2025 sur sa chaine YouTube Chokarella, Carel Pèdre, a fait une injonction
interdiscursive de manière substile à l’encontre du rappeur Wendyyy quand il a repris
explicitement les termes, le ton, les expressions faciales et les gestes que le
chanteur Baky Popilè a produits lors d’une entrevue réalisée, il y a trois ans,
avec l’animateur Guy Wewe sur sa plateforme pour ironiser le fait par Wendyyy
de s’être autoproclamé King (roi) du rap créole. Ces corrélatifs ont
provoqué de vives réactions sur X, notamment dans la communauté chinwa,
les fans fidèles de ce dernier.
Tout compte fait, tant les éléments linguistiques
et extralinguistiques sont essentiels pour comprendre la communication dans sa
globalité. Et, j’espère que cet article a pu en montrer l’importance et les
applications concrètes.
Références bibliographiques et
webographiques
-
Benveniste, É. (1966). Problèmes de
linguistique générale I. Paris : Gallimard.
-
Kerbrat-Orecchioni, C. (1980). L’Énonciation :
De la subjectivité dans le langage. Paris : Armand Colin.
-
Kerbrat-Orecchioni, C. (1999). L’Énonciation en
linguistique. Paris : Armand Colin.
-
Maldidier, D. (1990). L’Inquiétude du discours.
Paris : Des Cendres.
-
Maingueneau, D. (2014). Discours et analyse du
discours. Paris : Armand Colin.
-
Détrie, C., Siblot, P., Verine, B. (2001). Termes
et concepts pour l’analyse du discours. Paris : Champion.
https://www.youtube.com/live/oP011TiRM2Y?feature=shared
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